8 septembre - Fête de la Nativité de la Mère de Dieu

Évangile selon Saint Luc 10, 38-42 et 11, 27-28

(texte du Spoutnik)

  

En ce temps-là, Jésus entra dans un village, et une femme du nom de Marthe le reçut dans sa maison. Elle avait une sœur appelée Marie qui, s'étant assise aux pieds du Seigneur, écoutait sa parole. Quant à Marthe, elle était absorbée par les multiples soins du service. Intervenant, elle dit : Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur me laisse servir toute seule ? Dis-lui de m'aider ! Mais le Seigneur lui répondit : Marthe, Marthe, tu t'inquiètes et tu t'agites pour beaucoup de choses ; une seule pourtant est nécessaire. C'est Marie qui a choisi la meilleure part : elle ne lui sera pas enlevée.

 

Or, comme il parlait ainsi, une femme éleva la voix du milieu de la foule et lui dit : Heureuses les entrailles qui t'ont porté et les mamelles qui t'ont allaité ! Mais il répondit : Heureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent !

Homélie sur la Fête de la Nativité de la Mère de Dieu (8 septembre 2016)

La Nativité de la Mère de Dieu (8 septembre 2106)

 

La couronne de l'année liturgique byzantine est tressée de douze grandes fêtes. Ces douze solennités diffractent, comme à travers un seul diamant, la lumière de l'unique Mystère du Christ. Or, de la même manière que l'alternance de ces douze fêtes se combine selon le rythme du soleil et de la lune (Noël appartenant au cycle solaire et Pâques, au cycle lunaire), nous voyons se conjuguer, dans la succession de ces douze fêtes, deux figures, l'une masculine et l'autre féminine, pour n'offrir, au regard de notre foi, que l'unique et indivisible lumière du Christ. Deux figures, un unique Mystère ! La figure de Jésus et celle de Marie sont indissociables dans le Mystère de la vie et de la mort. Si Jésus nous montre la face visible du Mystère du Christ, Marie nous en montre la face secrète.

Ce n'est pas un hasard, si la première solennité de l'année liturgique byzantine débute par la mémoire de la Nativité de la Mère de Dieu. Ce n'est pas un hasard, non plus, si la fête de la Dormition de la Mère de Dieu clôture cette année liturgique. Le mystère de la naissance de Marie, que nous fêtons aujourd'hui, récapitule toute la préfiguration biblique de la manifestation du Christ dans la chair. Cette fête nous invite à remonter aux racines secrètes de l'incarnation de la Parole de Dieu. À l’autre extrémité de l’année liturgique, le mystère de la mort de Marie, en écho à la Pâque de Jésus, nous laisse entrevoir l'immense perspective de vie offerte aux hommes à travers la mort du Christ. La Dormition de la Mère de Dieu, en effet, nous invite à mesurer, dans notre vie, l’impact et les conséquences ultimes que la Pâque du Christ peut avoir pour l’ensemble du genre humain, c’est-à-dire la dissolution du pouvoir de la mort. Jésus et Marie sont éternellement unis entre eux par un unique Mystère de mort et de vie, de naissance et de résurrection.

Mais, de la naissance de la Vierge, tout comme de sa mort, rien ne nous est dit, dans les Évangiles. Si la mémoire liturgique de la Nativité de Jésus se fonde sur le récit merveilleux de l'évangéliste Luc, c'est, en revanche, un texte apocryphe que la Liturgie nous propose de contempler dans la foi pour la Nativité de Marie. La piété des chrétiens trouve ainsi le fragile support d'une histoire dont la trame est inspirée par le récit biblique de la naissance miraculeuse du prophète Samuel. À travers le récit légendaire du Protévangile de l’Apôtre Jacques, nous retrouvons, en effet, un thème biblique bien connu : celui de la stérile qui enfante. Qu'il s'agisse d’Isaac – né de Sarah –, de Samson – né de la femme de Manoah, de Joseph – né de Rachel –, de Samuel – né d’Anne, femme d’Elqana –, de Marie – née d’Anne, femme de Joachim – ou de Jean-Baptiste – né d’Élisabeth –, l'enfant, né de la femme dont le sein est stérile, est promis à devenir, par grâce, une source féconde de salut pour les hommes : il est appelé à illustrer la dimension mystérieuse du don gratuit de la vie.

Ainsi peut-on dire que le thème biblique de la femme stérile qui enfante est élevé, par la tradition liturgique, au rang d'icône.

Or, nous savons qu'en toute icône, de quelque saint que ce soit, il est toujours possible de contempler la face secrète du Christ : a fortiori dans une icône de la Mère de Dieu. Qu'est-ce qu'une icône, si ce n'est – comme nous l'apprenons en contemplant, sur le visage de nos frères, le visage même du Christ – une « fenêtre » ouverte sur le Mystère insondable de Dieu ? Encore faut-il pouvoir ouvrir cette fenêtre, c'est-à-dire pénétrer dans le regard de l'icône. Or, aujourd'hui, que peut-on contempler du Mystère même du Christ en croisant le regard de Marie, cette enfant miraculeusement née d'une femme stérile et consacrée à Dieu dès avant sa naissance ?

Une parole de l'Évangile de ce jour peut nous aider à trouver une des clés qui nous permet de contempler en profondeur l’icône liturgique de la présente fête : une remarque de Jésus nous laisse pressentir en quoi la naissance providentielle de Marie est intimement mêlée au mystère de la manifestation du Christ dans la chair.

Revenons donc au contexte de cette parole de l’Évangile de Luc. Jésus s'adresse avec autorité à un auditoire médusé par la puissance de sa parole. La voix d’une femme s'élève dans la foule : "Heureux le ventre qui t'a porté et les mamelles qui t'ont allaité !" Au premier degré, on peut comprendre cette parole comme la louange – peut-être un tantinet envieux – qu’une mère adresse à une autre mère. Marie a toutes les raisons de se montrer fière d'être la mère d'un tel fils. Mais la béatitude proférée, du milieu de la foule, par la voix de cette femme vise plus haut ; l’admiration de la femme trahit une véritable question : d'où vient que cet homme parle si puissamment ? D’où lui vient – ou de qui lui vient – une telle puissance ?

Cette femme interroge, avec son instinct de mère, les arcanes des origines de Jésus, interrogation d’ailleurs récurrente dans les Évangiles ! Ici, la question est posée de manière oblique, mais non moins judicieuse : quelle est la femme bénie qui a donné naissance à un tel fils ? Cette louange interrogative cherche à remonter à la bénédiction initiale qui a valu aux hommes d'entendre de telles paroles.

Marie détient le secret de cette bénédiction initiale, ainsi que l'Ange le lui a révélé lorsqu'il lui a dit : "Bénie es-tu entre toutes les femmes".  C'est précisément ce secret que Jésus va dévoiler à cette femme en lui répondant : "Heureux, bien plutôt, ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent". En disant cela, Jésus manifeste en quoi consiste, avant tout, la véritable maternité de sa propre mère et, partant, il lève le voile sur le mystère de sa propre origine en Dieu. Jésus, en effet, en tant que Christ, est né de l'écoute de la Parole de Dieu. Il est enfanté en tant que parole vivante à partir d'une écoute de nature divine, une écoute qui remonte aux origines mêmes de la création, car il n'y aurait pas de parole, s'il n'y avait personne pour l'écouter.

De même que l'existence du Père est inconcevable sans celle du Fils, de même aussi, la Parole ne peut exister en tant que Parole s'il n'y a personne pour l'écouter ! Mais il n’existe pas d'écoute sans une « intelligence » de l'écoute. Il ne suffit pas d'entendre avec ses oreilles. Jésus ne déplore-t-il pas souvent ce manque d'intelligence lorsqu'il dit : "Ils ont des oreilles et n'entendent pas" ? C'est l'intelligence du cœur qui enfante réellement la Parole. Et cette intelligence qui enfante la Parole créatrice pour notre monde, en la rendant audible aux hommes, s'appelle la Sagesse. La nature de la Sagesse, voilà ce que Marie et Jésus ont en commun. Le Fils, qui fait connaître aux hommes ce qu'il a entendu du Père, correspond bien à ce que l'on peut pressentir de la Sagesse éternelle de Dieu. C'est cette écoute éternelle qui fait que la Parole créatrice peut être proférée. Mais pour qu'elle soit entendue dans notre monde, il faut aussi une écoute de nature divine parmi les hommes. Cette écoute a été celle d'Abraham, elle fut aussi celle de Moïse et de tous les prophètes ; elle fut, bien sûr, celle de tout un peuple et, en particulier, celle de Samuel qui apprit à dire à Dieu : "Parle, Seigneur, ton serviteur écoute".

C'est grâce à l'intelligence divine propre à une telle écoute que Jésus se révèle aux hommes comme le Serviteur par excellence, celui dont parlent les Écritures, en Isaïe : " Le Seigneur (...) éveille chaque matin, il éveille mon oreille pour que j'écoute. Le Seigneur m'a ouvert l'oreille, et moi je ne me suis pas rebellé (Is. 50, 4). Mais c'est aussi, dans l'écho de cette même écoute, que nous pouvons entendre Marie dire : " Je suis la servante du Seigneur" (Lc 1, 38).

La parole naît, en ce monde, de l'écoute, c'est-à-dire de l'intelligence du cœur : écoute cordiale, réceptrice de la puissance de l'Esprit. L'écoute est « fille de la Sagesse », tout comme le Verbe, lorsqu'il est proféré dans la Création, est lui-même né de cette Sagesse. Mais, de nos jours, de quelle écoute intérieure peut naître une Parole de salut pour les hommes ? Suffit-il que l'on lise les Écritures à l'Église ou chez soi, qu'on les interprète dans les écoles bibliques ou les universités, pour qu'il y ait une réelle écoute intérieure ? Mais pourquoi y aurait-il écoute réelle de la Parole de Dieu, si nous ne nous écoutons pas les uns les autres ? Pourquoi la Parole divine aurait-elle encore une puissance de délivrance pour les hommes, si nous ne laissons pas à notre frère, grâce à la profondeur cordiale de notre écoute, la possibilité de faire jaillir sur ses lèvres « un verbe beau", comme chante le psalmiste (cf. Ps. 44).

L'écoute qui rend présent le Christ en notre monde actuel, c'est avant tout l'écoute que nous nous offrons mutuellement. Lorsque la parole d'un frère prend vie, grâce à l'écoute que nous lui accordons, ce sont les traits du Christ qui se forment sur le visage de celui-ci : nous les voyons poindre à partir de la lumière qui naît en son regard. Prenons garde à ce que nous dit le Prologue de l'Évangile de S. Jean, car ce message est encore d'actualité : "La Parole est venue chez les siens et les siens ne l'ont pas reçue". Sans une écoute mutuelle, dotée de la fécondité de la Sagesse divine, comment la Parole créatrice peut-elle, aujourd’hui, être reçue et prendre racine en notre monde ? Quel sens de la vie, les hommes ont-ils vraiment à partager entre eux si toutes leurs paroles tombent dans le vide, faute d'écoute intérieure ou de réciprocité dans l'écoute ? « Mais, poursuit l'Évangile, à tous ceux qui ont reçu cette Parole, celle-ci leur a donné pouvoir de devenir enfant de Dieu » (Jn 1, 12). C'est bien de cela dont il s'agit, aujourd'hui : de notre propre filiation divine, entrevue à travers la naissance de la Vierge. Il s’agit de notre naissance en Dieu, grâce à la puissance d'écoute de la Parole. C'est toute l'histoire de cette genèse du Verbe divin en l'homme que nous pouvons recueillir avec dévotion en faisant mémoire de ce merveilleux récit de la Nativité de La Mère de Dieu, un récit qui nous livre mystiquement le secret de l'écoute de tout un peuple, voire de toute une humanité animée par l'espérance prophétique de la Vie.

 

Maxime Gimenez

Nativité de la Mère de Dieu - 8 septembre 2016
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Homélie sur la Fête de la Nativité de la Mère de Dieu (8 septembre 2015)

Pour la Nativité de la Mère de Dieu (8 septembre 2015)

(Lc 10, 38-42 et 11, 27-28)

 

          Nous célébrons, aujourd’hui, la fête de la Nativité de la Mère de Dieu. Cette fête ouvre le cycle des douze grandes solennités de l’année liturgique byzantine ;  c’est aussi, pour nous, la première porte d’entrée dans le Mystère, celle par laquelle nous sommes initiés au secret du lien providentiel existant entre Jésus et sa mère. Comme fil conducteur de notre méditation sur ce thème, je propose de nous arrêter à une parole que nous avons entendue dans l’évangile de ce jour. Il s’agit, précisément, de l’hommage que Jésus rend à sa mère lorsqu’il dit : « Bienheureux plutôt ceux qui écoutent la parole de Dieu et qui la gardent ».

La voix d’une femme, en effet, s’était élevée dans l’assemblée et avait publiquement magnifié le fait d’être la mère d’un Maître et Prophète aussi éminent que Jésus : « Heureux le ventre qui t’a porté et les seins que tu as sucés » (Lc 11, 27). Et voilà que Jésus semble répondre qu’il y a plus grande félicité que celle de Marie, et que toute personne, fidèle à la Parole de Dieu, n’en tirerait pas moins de mérite.

          En vérité, un auditeur inattentif ou un tant soit peu malveillant pourrait mal interpréter cette parole de Jésus et voir l’expression d’une sorte d’indifférence à l’égard des mérites de sa mère. Jésus minimiserait-il le compliment fait à Marie ?

C’est comme si Jésus laissait sa mère dans « l’ombre », préférant attirer l’attention sur ceux qui sont zélés pour la Parole plutôt que sur la personne même de Marie. En réalité, Jésus vient de rendre à sa propre mère le plus grand hommage qui soit. C’est une reconnaissance de la vraie dimension de la maternité de Marie ; nous pourrions dire : une reconnaissance de la dimension divine de cette maternité. En réalité, cette reconnaissance n’est pas sans lien avec la raison profonde pour laquelle Jésus laisse sa mère hors des « projecteurs » de la renommée. C’est, précisément, sur ce point que je souhaiterais approfondir notre méditation.

          Pour comprendre pourquoi Jésus formule, de manière voilée, une aussi grande béatitude à l’endroit de sa mère, tout en laissant la personne singulière de Marie dans une sorte d’anonymat, il nous faut partir de l’expérience que nous avons de la lecture des Écritures. Lorsqu’on lit un texte sacré, on découvre, à force de le fréquenter, qu’il y a, dans ce texte, ce qui est dit et ce qui n’est pas dit. La lecture d’un grand texte, et singulièrement la lecture de ce que nous appelons « la Parole de Dieu », ne nous confronte pas seulement aux mots – à que l’on appelle encore la « lettre » –, elle nous confronte aussi aux « interstices », à l’espace vide qui se trouve entre les mots et entre les lignes. Cet espace, apparemment vide de sens, ne fait que se creuser, à mesure que nous progressons spirituellement dans la lecture : ce vide devient sans fond, abyssal. Mais, de ce même « vide » silencieux, semblent vouloir émerger, sans cesse, de nouvelles paroles, de nouvelles visions, de nouveaux sens : ce sont des paroles que l’on n’entend pas avec les oreilles de chair, mais avec le cœur ; ce sont des sens que l’on ne saisit pas avec l’intelligence quotidienne, mais avec une sensibilité plus fine de l’âme, voire avec la plus fine pointe de l’esprit.

          Si donc nous cherchons, à travers les Écritures, à connaître qui est le Christ – ou quel est le Christ – nous finissons par percevoir que le Christ a, en réalité, deux faces ; il est, en lui-même, comme le mystère d’une puissante montagne à deux versants : une face visible et une face invisible, une face audible (ou sonore) et une face silencieuse, une face éclairée et une face demeurée dans l’ombre, une face radieuse et une face obscure. Disons-le tout court, le non-dit des Écritures, quant à la personne du Christ, nous laisse pressentir une dimension exotérique et une dimension ésotérique, une dimension « publique » et une dimension « mystique ». Il en est des Écritures comme du Christ lui-même, si toutefois nous considérons ces Écritures comme saintes et inspirées.

          Or, c’est en soupçonnant cette réalité de la fécondité du silence des Écritures que s’impose à nous l’évidence d’une mystérieuse convergence entre la dimension « spirituelle » de l’acte liturgique et le mystère attaché à la personne de Marie. Nous pourrions résumer cette intuition de la manière suivante : la tradition liturgique « prie » les Écritures comme Marie les « écoute ». La tradition liturgique, en effet, traduit sans cesse en prières et en visions intérieures ce silence contenu dans la Parole de Dieu, tout comme Marie se présente comme le témoin par excellence de la dimension cachée de l’œuvre divine. La tradition liturgique développe la dimension mystique de la prière et du culte à partir des mêmes silences interstitiels de la Parole de Dieu.

Marie se tient dans le silence de Dieu. Les Évangiles disent si peu choses sur la personne de Marie qu’ils finissent par attirer l’attention sur son « retrait » et sur la qualité de son silence, au point de faire de cette femme le témoin privilégié de la face secrète du Christ. Elle témoigne, par son apparent anonymat, de la dimension cachée de l’identité du Christ, celle qui plonge ses racines dans le silence abyssal du Nom imprononçable, le Nom révélé à Moïse.

La tradition liturgique, plus visionnaire que « théologienne », plus mystique que spéculative, nous montre la Mère de Dieu comme une forme de « double » secret de la personne du Christ, tout comme l’ombre, sur cette terre, est attachée à la manifestation de la lumière. C’est pourquoi chacune des grandes fêtes du Christ, qui diffractent, au cours de l’année liturgique, la lumière pascale de la Résurrection, est doublée d’une fête mariale ; et le propre d’une fête mariale est de nous introduire à la dimension voilée – ou « céleste » – du Mystère : elle nous dit ce que la lettre des Écritures ne nous dit pas ; elle nous transporte au-delà du voile de la réalité quotidienne et nous place, d’emblée, en compagnie du monde angélique.

C’est le propre de la prière liturgique que de nous apprendre à nous tenir dans cet espace « interstitiel » des Écritures, dans cet « entre-deux », ce vide sacré qui s’immisce entre les mots et les lignes pour nous initier progressivement à entendre ce qui est inaudible, à voir ce qui est invisible, à contempler une lumière au-delà de toute lumière, une lumière émergeant, comme d’une source, depuis les profondeurs mêmes de la Sagesse divine.

Ainsi en est-t-il de la fête de la Nativité de la Mère de Dieu, que nous célébrons en ce jour. Quant aux circonstances de la naissance de Marie, rien ne nous est relaté dans les Évangiles canoniques. La tradition liturgique va trouver son inspiration dans un récit tiré d’un Évangile apocryphe que l’on appelle « le Protévangile de Jacques ». Avec ce récit, qui fait la part belle à l’imaginaire religieux, notre foi peut remplir d’un sens nouveau ce que j’appelais « l’espace interstitiel des Écritures », c’est-à-dire ce non-dit évangélique qui laisse place à une parole d’une autre nature. Ce n’est pas l’aspect anecdotique du récit qui importe, pour nous, mais sa dimension « poétique ». Elle nous ouvre les portes d’une méditation profonde des Écritures, une méditation « intra-scripturaire », qui est comme le fruit d’une lecture en coupe de la Bible.

L’histoire est la suivante : un couple – Joachim et Anne – est confronté à la « malédiction » de la stérilité. Le mari et son épouse souffrent mille humiliations car ne pas avoir de descendance, en Israël, est perçu comme un opprobre, voire comme une disgrâce auprès du Seigneur. Ces « justes » qui, comme Job, se voient privés de la bénédiction divine, n’ont d’autre recours que de redoubler d’opiniâtreté dans la prière en opposant la force de l’espérance au doute – obsession délétère – dû ici à l’incompréhension. Joachim et Anne promettent à Dieu de lui consacrer l’enfant qu’il daignerait, en sa grâce, leur accorder. En d’autres termes, ils font, par anticipation, le sacrifice qu’Abraham dut faire du « fils de la promesse » : ils rendent à Dieu la vie que Dieu voudra bien leur donner ; ils renoncent d’avance à la fierté d’une descendance personnelle. Ils demandent à Dieu de pouvoir enfanter dans la gratuité absolue de l’action de grâces. Dieu leur accorde cette grâce, par la voix de l’Ange, comme il le fit pour Abraham. Une fille leur sera donnée, une véritable fille d’Abraham, qu’ils nommeront Marie et qu’ils présenteront en offrande au Temple, trois ans après la naissance de l’enfant.

Les circonstances miraculeuses de la naissance de Marie sont un décalque de l’histoire de la naissance du prophète Samuel, dont la Mère s’appelait aussi Anne. C’est par ce rapprochement que le récit apocryphe de la naissance de Marie nous fait soudain entrer dans l’espace intra-scripturaire qui nous ouvre à l’intelligence du Mystère. Des profondeurs de l’espace laissé ouvert par le silence évangélique concernant Marie, surgit une multitude de thèmes et de figures bibliques qui viennent donner une chair spirituelle au Mystère de la naissance de la Mère de Dieu. Le thème de la stérilité, une stérilité miraculeusement convertie en fécondité, nous met en connexion avec le destin d’une humanité vieillie en qui l’espérance renaît avec l’attente du « fils de la Promesse » (Isaac, né du sein stérile de Sarah), avec l’enfantement laborieux des fils du patriarche Jacob (Rachel ne pouvait lui donner d’enfant), ainsi qu’avec la naissance du Prophète Samuel, par qui sera fondée en Israël la royauté messianique de David.

C’est ainsi, en fait, que la prière liturgique nous initie à la contemplation de la dimension secrète de la personne du Christ : à travers celle qui se tient dans le silence de Dieu, nous avons accès aux espaces éternels que la Sagesse divine a ouverts dans le sein même de notre humanité. Nous pressentons qu’entre la naissance du « fils de la Promesse » (c’est-à-dire, ici, l’Isaac de Dieu qu’est Jésus) et la naissance du « Prophète » (à savoir celle de Marie, l’être providentiel qui, abritant en son sein un Verbe de Vie, porte ainsi à son achèvement le paradigme de la prophétie), il existe un lien indissoluble. Dans le secret de Dieu, ces deux naissances – celle du roi et du prophète – sont inséparables. Pour que le Fils de la Promesse soit manifesté au monde, il faut que naisse d’abord un Prophète. Pour David, l’Oint du Seigneur, ce prophète était Samuel, l’homme qui, par son retrait, transmettait au jeune berger l’onction royale. Pour Jésus, ce prophète, c’est Marie ! La vocation de Marie se trouve entièrement résumée dans la parole que le petit Samuel avait reçu ordre de répondre, s’il s’entendait une nouvelle fois appelé, au milieu de la nuit : « Parle, Seigneur, ton serviteur écoute ».

Ainsi en est-il de Marie : sa vie, sur terre comme au ciel, est de continuer à dire cette même parole de Samuel, mais avec un impact sans précédent pour le destin de notre humanité : « Parle, Seigneur, ta servante écoute ». Elle écoute avec cette faculté d’abriter divinement la Parole, communiquant à notre humanité stérile la capacité d’accueillir, à son exemple, la Sagesse divine qui rend féconde la terre des hommes. La Mère de Dieu continue de se tenir, à nos côtés, dans le silence de « l’écoute », comme dans l’écho des chants que nous avons fait monter en son honneur vers le trône de gloire de son Fils. Avec elle, c’est toute notre humanité qui doit devenir « témoin » des merveilles secrètes de Dieu, méditant sur les paroles que l’Ange dit au Voyant de Patmos (dans le livre de l’Apocalypse) :

 

« Je suis un serviteur avec toi et avec tes frères qui gardent le témoignage de Jésus. Le témoignage de Jésus, en effet, c’est l’esprit de la prophétie » (Ap 19, 10).

 

Amen !

 

Maxime Gimenez

Nativité de la Mère de Dieu - 8 septembre 2015
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Prochaine activité :

- Retraite  " TRADITION " et " TRANSMISSION "  (21 et 22 septembre 2024 

 

Nouveauté : 

 Livre du Père Maxime "Veux-tu vivre ? " paru le
 6 janvier 2022. 

 

Pensée du jour et Bonne et sainte fête de Pâques 2024 :

Un Soleil de Justice s'est levé pour un Jour sans déclin...

  

Homélies récentes du Père Maxime :

- Homélie sur "La foi qui déplace les montagnes." (23 juillet 2024)

- Homélie sur "La foi victorieuse de la peur." (21 juillet 2024)

- Homélie sur "Le partage produit l'abondance. (14 juillet 2024)

- Homélie sur "La guérison et le pouvoir du Fils de l'Homme. (30 juin 2024)

- Homélie sur "Les possédés de Gadara." (23 juin 2024)

 

 

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